• elle observait le monde à travers une vitre de verre dépoli.
    elle ne distinguait plus les personnes ni les choses; elles étaient déparées de tout intérêt. elle vivait à travers le brouillard semi-lumineux des étoiles de sa fatigue, vaguement coloré, un peu bruyant mais supportablement encore. elle regardait, étonnée, tous ces gens qui semblaient vivre autour d'elle; et ils s'affairaient, remarquablement plats et humbles. ils parlaient aussi, parfois même s'adressaient à elle; mais elle ne savait que répondre. elle ne comprenait déjà plus le langage; et elle répondait par un vague sourire du bas du visage, découvrant les boucliers émaillés des dents, le sourire qui plaît et ne demande pas de questions. elle ne les avait même plus en horreur, ces humains; ils faisaient juste ce qu'ils croyaient bon de faire, ce qu'ils appellaient leur devoir. qu'ils aient raison ou tort n'était pas dans la question de leurs actes même. elle admit finalement le conformisme fondamental de l'espèce humaine. ses forces, elle ne les gaspillait plus à haïr; elle se concentrait plutôt à régler quelques détails avec elle-même, en attendant toujours ce qui ne saurait tarder.
    elle observait durant ses dernières semaines ces vies banales dont elle aurait aimé en avoir une, rien que pour l'expérience. les fenêtres des immeubles, devant sa chambre, lui offraient tout ce qu'elle pouvait et aurait dû désirer. elle regardait les gens vivre. le soir, ils suivaient des matches à la télévision; les lumières bleues des postes lui parvenaient, floutées par les vitres. des disputes étouffées échappées par des fenêtres ouvertes, un rire gras, des volets claquant lui arrivaient à travers l'air froid. elle voyait ces gens primaires, ascétiques presque par la simplicité de leurs désirs, uniquement matériels et limités. non, ils ne voulaient pas l'or, l'encens, la myrrhe; ils ne voulaient pas l'omniscience, ni la compréhension absolue; ils ne voulaient pas le génie, ni aller à l'opéra. ils voulaient une voiture, de la bière, une femme pour la nuit, un peu d'argent. la nuit elle se demandait quels désirs choisir.

    1 commentaire
  • je n'arrive plus à m'ouvrir aux gens. je ris peut-être, mais mon coeur veille. m'exprimer m'effraie tant que je le fais de moins en moins. si l'on voyait ce qu'il y a en moi? voici la question qui me taraude chaque fois que j'ai laissé transparaître quoi que ce soit, joie ou tristesse. je ne supporterais pas qu'on sache quels desseins me font survivre. que quelqu'un connaisse le moindre aspect de mes pensées, cette possibilité me fait frissonner de dégoût et de peur. je ne peux laisser apercevoir quoi que ce soit. il faut que rien ne m'échappe, que je retienne tout. il faut que je contrôle chaque geste, chaque inflexion, chaque mot, chaque regard enfin. j'ai du mal. mais je m'améliore de jour en jour. mes propres parents maintenant me croient d'humeur très égale, presque joyeuse, alors que je suis dans une noire mélancolie, oscillant entre les moments de doute, de joie presque, et de folie sombre. ceux qui se disent mes amis n'ont rien pu remarquer, je ne les vois presque plus pour être sûre qu'ils ne verront rien. j'ai dû me séparer de mon meilleur ami; il était trop dangereux. tout est prêt pour me forger une cuirasse d'invincibilité. personne ne me connaîtra. personne ne saura mes faiblesses, mes désirs. et personne ainsi ne saura me toucher, m'atteindre, ni même où me porter un coup. personne ne saura qui je suis, ce que j'aime réellement, ce qui me fait peur, à quoi je pense durant toutes ces nuits blanches d'hiver, ce qui me met des frissons idiots au dos, ce qui me touche enfin. ceux qui y tiendront connaîtront mon image, un composé, assez fascinant pour présenter quelque intérêt apparent, que j'ai eu patience et plaisir à assembler, assez complexe pour tenir six ou sept conversations. je passerai pour quelqu'un d'autre que je ne suis pas. depuis mon enfance j'ai l'amour du déguisement; ce ne sera qu'un déguisement plus abstrait. je serai lisse, souriante; tout glissera sur moi. je n'afficherai plus mes réactions sur ce visage qui sera désormais égal. personne ne saura rien.

    1 commentaire
  • malade une fin d'après-midi d'automne, elle retrouve la sensation presque chaude des soirées d'hiver. la fièvre sans doute y contribue. la chambre sombre où la lumière n'a pas été allumée, et dont les volets sont restés fermés toute la journée, tout luit sous la flamme dansante de la bougie, qui fond patiente dans son chandelier posé sur le sol, et les lueurs mourantes du couchant filtré de nuages épais. la fenêtre s'ouvre; des oiseaux battent en retraite, leurs sifflements tournent en volutes agressives derrière eux, dans les branches hautes. un parfum froid règne; l'air glace et des fleurs paradoxales embaument tant qu'elles peuvent, faibles de cristaux que l'on croit voir se balancer, pendus cliquetant à leurs pétales.

    votre commentaire
  • je me sens dans un autre monde. je ne sens non pas en faire partie, mais y avoir été invitée, en tant qu'observateur, pour ensuite le confronter avec mes réalités quotidiennes.

    ce monde semble identique au mien au premier abord, pourtant je ne reconnais rien. je fume une cigarette sur le rebord de ma fenêtre; les immeubles devant moi sont les mêmes que d'habitude, mais à cette heure pourtant seules trois fenêtres sont éclairées. la ville luit comme à l'accoutumée à ma droite; le château surgit chaque seconde au milieu des brumes, futile géant sénile.

    tout est semblable mais rien ne l'est. par exemple, la brûlure du vent sur ma main gauche me fait sourire. son image est fausse. tous les éléments de cet environnement se comportent comme s'ils ne voulaient pas que je croie à leur altérité.

    je pose mes problèmes calmement, un à un. je redécouvre ce sens des priorités et cette lucidité critique qui me faisaient tant défaut. désinhibée par cet environnement calme, vide mais familier, je prends mes décisions. j'ai un pouvoir que je ne connaissais pas sur mes propres pensées. tout mon moi accepte ce que je dis, ce qui n'est pas le cas d'habitude. mes pensées principales sont sensées, ce qui leur confère une autorité nouvelle.

    je parle calmement à la face de ce monde inconnu qui semble presque sincèrement bienveillant. je lui explique, je nous explique lentement à voix basse tout. et il m'écoute.

    1 commentaire
  • je ris comme une possédée. heureusement que je suis seule, enfermée dans la maison. je suis assise au bord de la fenêtre. je ris d'un vrai rire franc, sincère, plein, "chaleureux" presque. même mes yeux rient avec mon corps. je ne regarde même plus ce qui m'entoure. je ris, je suis secouée de spasmes. des larmes même coulent de je ne sais où. rien n'a plus d'importance. je vois sans voir ce qui se passe autour de moi, comme des images sans suite qui défilent, saccadées. je ne discerne pas les objets qui composent ces images. je perçois un tourbillon de bleu nuit, de noir, d'orange, de gris blafard. je ris à grands éclats qui ne s'arrêtent que lorsque je suffoque, cherchant l'air glacé bruyamment. je n'entends plus rien, à part mon propre rire qui trouve son écho quelque part dans mes souvenirs.

    je ris et cela me fait peur. je n'ai plus l'habitude de ce mouvement naturel. j'étais habituée à ces actes que l'on calcule. j'étais habituée à repenser chaque geste, chaque parole et chaque acte, les plus petits, avant de les exécuter. c'était devenu un automatisme. penser, mettre au point, vérifier, exécuter une fois en pensée, esquisser, exécuter. un processus cher qui m'était devenu habituel, et qui l'est toujours. mais le rire arriva, et je ne pus le commander. un échec de plus. que deviendrai-je, si je m'aliène au point de ne plus pouvoir commander non seulement mes pensées, mes sensations, mes sentiments (je n'aime pas ce mot) mais encore mes actes? que deviendrai-je? mais ce rire ne veut-il pas dire non plus que je suis encore humaine? je n'en sais rien.

    cela fait longtemps que je n'avais pas tant ri. la sensation est étrange. ma cage thoracique vibre, mes épaules se soulèvent, un rictus s'empare de ma face.
    je veux que cela s'arrête. mais je ne peux pas; aussitôt une autre vague m'emmène, m'empêche de respirer et de reprendre mes pensées entières. un marteau cogne mon coeur qui palpite sourdement. la fatigue enfin m'arrête; je suis vide et j'en ai assez.

    aujourd'hui, j'ai ri. j'ai regardé mes pensées. j'ai ri: j'en suis malade. ces pensées me tueront à petit feu, insidieuses. j'ai ri de désespoir et de fatigue; ce qui me poursuit m'a enivrée. mon mal m'a faite rire; un remède existe, je l'ai jeté au fond de la seine. je n'irai pas le chercher. on m'a laissée seule avec mon mal, pour disputer un dernier duel. nous sommes tous seuls devant le mal lorsqu'il vient de nous-mêmes.

    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique