• L'allumeur de réverbères est passé.
    Il a jeté le trouble dans les versinthes, ramassé les dés qui roulaient encore sur le sol.
    Il les a posés sur la table.

    L'allumeur de réverbères est passé.
    Derrière la porte, le froid et les vents qui bataillent.
    Il a posé son manteau sur la chaise.
    Les bouches exhalent leurs chaleurs et se taisent.

    L'allumeur de réverbères est passé.
    Chacun l'a regardé étrangement
    Je voulais un morceau de lui
    Alors j'ai souri au fond de mon verre.

    [Dans les plis de son large manteau, j'ai fouillé et retrouvé un parfum poivré ancien adoré qui n'était pas à lui, adouci par la chaleur de son corps.
    Respiration ample et sans larmes; sourire sans regrets et sans amertumes.]

     

    L'allumeur de réverbères est passé.
    Il a éteint les allumettes nerveuses et enflammé les mèches des bougies; grésillement du fil noir, cassant, un peu recourbé.
    Il ne s'est pas assis mais a fermé la porte derrière lui.

    L'allumeur de réverbères est passé.
    J'ai vu les regards terribles
    Que je croyais sourires
    Et les marches noires muettes étourdissantes
    De mes promenades.

    L'allumeur de réverbères est passé.
    Il a tranquillement traversé la petite salle, en faisant craquer les lames du parquet comme un feu.
    Il s'est servi un verre d'eau.

    L'allumeur de réverbères est passé.
    Il a fendu la bise blanche au fort arôme
    En ouvrant ses mains il l'a dissipée
    Et la cendre vole, traçant en l'air
    Les signes de sa colère lointaine.

    L'allumeur de réverbères est passé.
    Il a fermé le livre aux pages incertaines
    Chassé les images oiseaux-douleurs
    Qui ne sont plus à moi.

    [Ses mains chaudes sans gants sur mes épaules. Je me suis enfin endormie.]


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  • J'ai coupé mes jambes et mes ailes pour te les donner à manger.
    Je ne les ai pas
    jetés en pâture à ton regard, comme à tous les regards; je te les ai concédés parce qu'ils t'ont plu. Je les ai retirés, comme les femmes savent retirer les choses qu'elles portent aux oreilles. Elles penchent la tête et font semblant de perdre leur vue. Elles penchent la tête comme n'importe quel oiseau et elles courbent leur poignet, n'importe quel poignet; mais la courbe parfois gracieuse fait de n'importe quelle articulation épaisse un simple pli gracile.

    Je peux tout de même bien sentir l'essence de café métallique au fond de ma gorge, et mon diaphragme qui crie tous ces matins. Réapprendre à s'habituer à soi en continu (sans même le moindre pléonasme). Revenir aux nausées matinales et aux humeurs houellebecquiennes. Encore étendue, avoir effroyablement conscience du temps dont on dispose à présent, juste après le réveil, pour tenter de reconnaître le corps, "savourer" avec peur l'aperçu de toutes les auto-confrontations matinales.

    Parce que rien n'est prévu et que l'on s'y est habitué, savoir que tous les faits se succèderont de la même façon tous les jours qui vont suivre. Sentir l'appétit de l'espace dément pour les morceaux de vide dont nous semblons être composés. Passe, avec sa silhouette attirante, une légère envie de tirer à la carabine sur ces tourterelles à la chair beige humain qui nichent en mon toit et peuplent ma gouttière, tamisant de leur peau empreinte de rosée la lumière grise que je bois.

    Il va falloir se remettre à rêver, je le crois sans le craindre.

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  • Et si l'on se retournait contre le soi d'il y a un instant?
    Au mieux, il ne reste qu'un morceau de fumée à disperser, de minuscules paillettes de parfum à ramasser au sol, un écho infime.
    Impossible d'attraper les paroles au filet, impossible de les abattre en plein vol comme des pigeons. Tout file et tout échappe, le plus vite possible.


    On se retourne et il n'y a absolument rien qui puisse sérieusement montrer notre existence d'il y a quelques secondes.
    Il y a le verre commencé et les miettes sur la table, l'écho des notes qui finit de se détacher, les objets conservent encore un peu de tiédeur peut-être. Rien d'absolument tangible; Impression soleil levant.


    Obligation d'expression donc.


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  • Sur le quai; les mains qui tremblent, on ne parvient à savoir pourquoi.
    Au milieu du ballast doucement mais fermement allumé, un éclat de verre scintille très fort; il emplit l'humeur vitrée, jusqu'à la nausée, ponctuel reflet d'un blanc soleil coupé au couteau.
    Très au-dessus de tout cela, la musique respire sans encombre et sans ambages, lucide dans sa cage.
    Lassitude du midi; attente de la rencontre décisive avec rien.
    Un morceau de vide parmi les sièges: il est violemment accaparé et meublé de solitude soulagée. Seul deux objets abandonnés sur le siège qui fait face attestent la fréquentation humaine.
    Dehors, le pays de plus en plus familier effleure le double vitrage. la campagne salie est de plus en plus volubile d'enfance. Villages rouillés, passages à niveaux, voitures enterrées et détritus. La végétation aussi est de plus en plus parlante; ces feuillus  à la vive couleur du passé, on a envie de les effeuiller, on a envie d'y grimper.
    Et les routes aussi, ces nationales que l'on reconnaît, les pancartes qu'on a déchiffrées dans l'ennui somnolent des trajets habituels, on les lit maintenant. On les lit avec une légère émotion; mais rien à voir avec le soulagement ou la vive exaspération d'avant.
    Entre les vitres, les rails se tordent et se déforment doucement, toujours plus avant que le regard. Ils ploient et déploient, toujours parallèles, une danse de chaleur climatisée.
    Trajet trop court: vite le train surplombe la Loire telle qu'on la connaît réellement. Même les zones industrielles semblent plus vraies et plus touchantes. L'agencement des constructions, des arbres, le défilé des couleurs, sans réveiller quoi que ce soit, apaise un peu, tout en irritant ce qu'il y a sous le souvenir.

    Le passé a changé.

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  • Faire de ses doigts une source d'ors chatoyants; 
    Faire enfanter à la mine du sec crayon qui griffe et brûle le papier
    Des mots sans douleurs, à l'amertume douce et naturelle, des mots de caressant acier
    Alliés de celui qui cherche, remèdes à celui qui tente de fertiliser son soi blanc.

    Créer, exhumer de la pensée sans intérêt une chimère inconnue, belle et effrayante
    Donner un lit à cette rivière chaotique de paroles
    Qui coule de la bouche, égout aux forces et aux lignes distendues molles;

    De soi-rien extraire une essence existante.


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